Les Cahiers d’histoire sont très heureux de présenter un dossier consacré à l’histoire de l’Afrique. Sans être du tout ignorée des Cahiers (il suffit de faire un appel rapide sur le site des Cahiers pour s’en convaincre), il y a longtemps que l’Afrique comme ensemble territorial spécifique n’avait pas été mise au centre de notre travail éditorial. Nous en sentions venir la nécessité avec de plus en plus d’urgence. Bien sûr, la puissance des États africains s’affirme, leur diversité aussi. Les peuples d’Afrique, nombreux, jeunes, cherchent à sortir de l’étau que les pouvoirs leur imposent. Les révoltes, les protestations se multiplient contre des dirigeants qui s’avèrent être trop souvent plus soucieux des intérêts d’une poignée de privilégiés, nationaux ou internationaux, que de ceux des peuples. Révoltes qui ciblent aussi des dirigeants qui supportent souvent mal (et ce n’est pas une spécificité africaine !) de se soumettre aux verdicts démocratiques. Les peuples d’Afrique butent aussi contre les pouvoirs des pays du nord, qui participent de ces arrangements contre les peuples – « Débats » en expose ici un des exemples tragiques – tout en faisant en même temps de leurs frontières des murs. Ces dernières semaines ont encore montré l’âpreté de cet affrontement, aussi bien en Méditerranée qu’à l’intérieur de l’Europe, avec la mort de migrants tentant de traverser la Manche à Calais. Tous ne viennent pas d’Afrique, mais on sait que l’Afrique voisine de l’Europe fournit une grande partie de cette jeunesse interdite, aussi vainement que cruellement, de liberté de mouvement à la surface du globe. Ces réalités brutales, expression d’un ordre international de plus en plus régi à nouveau par la guerre, guerre économique et conflit ouvert, comme nous l’évoquions dans le précédent numéro des Cahiers, ne doit pas conduire à négliger les processus de développement et d’affrontements internes à l’espace africain. Faut-il rappeler que l’Afrique, c’est un continent immense, dont la superficie est de trois fois celle de l’Europe ; que c’est aujourd’hui plus d’habitants que l’Europe bien sûr, mais aussi que l’ensemble des Amériques ; 16 % de la population du globe et une part qui connaît une rapide croissance ? Que l’Afrique, ce sont aussi plus de cinquante États, plus qu’aucun autre continent, y compris l’Europe et ses dizaines de créations nationales récentes ? Ce n’est pas ici l’endroit de débattre de l’ampleur des processus de développement en cours dans les États de ce continent. Qu’il suffise de rappeler, pour s’en tenir au domaine de la connaissance, l’ampleur de l’augmentation du nombre des étudiants/es et des diplomés/es, même si leur part de la population traduit encore un écart spectaculaire avec la situation des pays du nord. Il faut néanmoins rattacher le renouveau des recherches sur l’histoire au sein du continent africain, en Afrique mais aussi dans l’ensemble du monde, à ces formes conflictuelles et souvent douloureuses de transformations des sociétés africaines et de leur présence dans le monde globalisé d’aujourd’hui.
Le dossier que coordonne ici une des pionnières des études africaines en France, Catherine Coquery-Vidrovitch, veut contribuer à la diffusion de ces connaissances nouvelles qui, loin des clichés convenus, disent la diversité et la complexité des histoires dans le continent africain. L’incroyable discours prononcé à Dakar par Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, quoique de 2007, résonne encore dans nos têtes comme une dramatique provocation : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui, depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. ». À cette monstruosité, les réponses ont été nombreuses. Certainement pas assez nombreuses. Depuis, les polémiques sur les programmes scolaires, entretenues par les courants les plus réactionnaires de la société française et instrumentalisées par les hommes politiques de droite, ont montré que la question de l’histoire de l’Afrique est toujours chargée d’une très forte dimension politique. Impossible de faire ici l’histoire des mobilisations récurrentes à chaque changement dans les programmes d’histoire, dénonçant les atteintes portées à l’identité nationale dès que la part faite à l’histoire nationale est mise en cause ou que le regard historien n’est plus gallocentré. Casali et autres polémistes ne se laissent pas oublier ! On se souvient du comité créé en 2010, « Notre histoire c’est notre avenir », pour promouvoir « l’histoire de France » et dénoncer le risque que l’on s’attarde plus longuement sur les civilisations africaines du Monomotapa et de l’empire Songhaï que sur le règne de Louis XIV. Mise en opposition aussi réductrice que démagogique, mais peut-être pas sans conséquences sociales et politiques. De fait, les nouveaux programmes laisseraient de côté les empires africains médiévaux.
Face à cette offensive, les historiens/nes de l’Afrique ont publié de façon très volontariste pour répondre dans ce débat public et faire connaître l’histoire de l’Afrique. Mais il s’agit aussi de faire connaître l’importance des recherches récentes menées dans le monde entier, notamment dans les universités africaines, et d’analyser les formes et les enjeux historiographiques de ces productions.
Comme on le voit à travers les contributions de ce dossier sur les empires, les recherches récentes cherchent à faire sortir l’histoire de l’Afrique de sa confrontation avec les seuls européens et à développer des approches qui ont l’Afrique pour centre. en ce sens, et cela n’a rien d’étonnant, ces histoires de l’Afrique sont en phase avec les grands renouvellements historiographiques contemporains qui décentrent les regards par rapport à l’Europe et rappellent l’existence d’interactions et d’histoires hors de la présence et de l’intervention des puissances européennes ; du moins redonnent à celles-ci des rôles d’acteurs parmi d’autres. Les articles réunis ici témoignent du fait que l’histoire de l’Afrique aujourd’hui se fait comme les autres à l’heure de l’histoire globale et porte la marque à la fois d’une sortie de l’européocentrisme et d’une approche renouvelée des rapports de domination.
D’où, comme le rappelle Catherine Coquery-Vidrovitch dans son introduction au dossier, le choix du titre, « Les empires africains » et non « Les empires en Afrique ». Il s’agit donc à la fois de sortir l’histoire de l’Afrique de la seule époque coloniale et postcoloniale, de même que de l’histoire de la traite atlantique, d’une histoire de la dépendance des peuples africains, pour étudier les constructions des pouvoirs au sein de sociétés africaines très différentes et, notamment, par leurs liens, alliances, conflits avec des pouvoirs extérieurs divers. Ce dossier qui s’ouvre par un texte du grand spécialiste d’histoire ancienne, Michel Christol, sur l’empire romain comme empire africain, évoque avec Samuel Sanchez un empire commercial de Zanzibar pour qui l’Afrique centrale est un arrière-pays alimentant de fructueux commerces vers l’Asie. Il cherche donc à traduire la profondeur temporelle et la diversité spatiale de l’histoire des peuples en Afrique.
Lire la suite… Les empires africains, des origines au XXe siècle, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2015
Lire aussi :
• Collectif, Histoire générale de l’Afrique (8 volumes), UNESCO, 1980-1999 [Texte en ligne].
Dossier documentaire Afrique, Monde en Question.
Veille informationnelle Afrique, Monde en Question.