à Juliette
à Agnès Maillard
L’Origine du monde 1866
Affiche autrichienne 2006
Les femmes, qui se rasent les poils pubiens, croient le faire en toute liberté et certaines même acquérir ainsi plus de liberté. Paradoxe de notre époque où règne la novlangue orwellienne selon laquelle la soumission est la liberté et vice-et-versa. Or, nos comportements mêmes les plus intimes sont soumis, consciemment ou inconsciemment et que le voulions ou non, à la pression de la société dans laquelle nous vivons [1].
Nous pourrions écrire l’histoire de la chasse au poil :
• Le poil masculin est connoté positivement : la force, la virilité et le pouvoir. Le récit biblique fait le récit de la vie de Samson, héros légendaire dont la force venait de sa longue chevelure. A contrario, la coupe des cheveux est imposée aux esclaves, aux prisonniers, aux bagnards, aux déportés, aux moines et aux militaires.
• Le poil féminin est connoté négativement : arme de séduction qu’il convient de cacher. Les traditions religieuses judéo-chétienne et musulmane imposent aux femmes le voile des cheveux et des rites de purification, l’épilation voire le rasage des poils pubiens. A contrario, le récit évangélique fait le récit de Marie-Madeleine, la prostituée aux cheveux longs, qui devint disciple de Jésus de Nazareth ; lors de la Libération en 1944 des femmes, qui avaient pratiqué la collaboration horizontale, furent tondues [2].
Nous pourrions faire l’étude linguistique de la chasse au poil. Noter, par exemple, que l’expression politiquement correct « épilation du maillot » remplace systématiquement « épilation des poils pubiens » (qui dépassent du maillot). Cette incapacité à nommer la chose est significative.
Nous pourrions aussi ironiser sur le fait que certaines, qui s’indignent de la coutume musulmane du voile, pratiquent allègrement la coutume musulmane de l’épilation totale. Cette contradiction s’explique par la logique de la transparence, qui s’apparente en l’occurence à l’exhibitionnisme.
La critique militante de la chasse au poil est écrite par le Mouvement International pour une Écologie Libidinale. Notre critique se situe en amont des pratiques individuelles et donc au niveau où s’élabore les normes de comportement.
Pendant des siècles et encore aujourd’hui dans certaines aires culturelles, les comportements humains étaient réglés par l’idéologie religieuse. Aujourd’hui, la publicité remplit la fonction de normalisation sociale. Elle s’accommode de toutes les idéologies quelles soient religieuses ou politiques et sociales car elle a aussi marchandisé les idéologies.
La publicité sut faire la preuve de sa capacité infinie de mettre à son service ce qui semblait la nier le plus radicalement. Comment s’en étonner puisque ses valeurs et son langage semblent accordés à des sociétés où toute chose se nomme produit, où tout produit vise un marché ; où toute création nouvelle est lancé et où le marketing est roi.
AKOUN André, Société et publicité in POIRIER Jean (sous la direction de), Histoire des mœurs II vol.1, Folio Gallimard, 1991 p.497.
L’article le plus pertinent sur la « philosophie » de la publicité est ancien, mais toujours d’actualité.
[…] la publicité, explicitement et implicitement, comporte une axiologie, un système de valeurs, d’attitudes éthiques, économiques et esthétiques qui caractérisent «notre» modèle de civilisation.
Certes, la publicité en soi ne postule l’adhésion a aucune idéologie. […]
Pourtant la publicité est normative : elle pose, expose, impose une nouvelle table de valeurs, un style de vie, des modèles de comportement. Elle dit […] comment il convient de vivre et d’être, comment «on» s’habille et «on» se déshabille, comment «on» travaille et «on» s’amuse, comment «on» sera éternellement jeune, aimé, heureux.
QUESNEL Louis, La publicité et sa « philosophie » in Les mythes de la publicité Communications n°17, 1971 p. 56 à 66.
Alors que les idéologies religieuses ou politiques cherchaient à imposer un comportement en persécutant les opposants, la publicité joue sur les interactions sociales de la mode : se donner une image (positive) de soi par la possession et l’ostentation d’objets qui manifestent l’appartenance à un groupe [3]. Ainsi, la femme qui se veut libre doit se conformer aux habitus du club des femmes libres tels que les décrivent les publicitaires, notamment dans les publi-reportages des magazines féminins.
La publicité prend appui sur les individus pour, de proche en proche, imposer un comportement de consommation au plus grand nombre. Pas à tous, mais elle s’en moque car les rebelles à un comportement donné adhéreront à un autre dont elle a le produit comme réponse. Ainsi la norme des sites pornographiques est d’afficher des sexes rasés (féminins et masculins), mais il existe aussi une catégorie hairy. 4 010 000 de sites sont consacrés aux « poilues » et 1 110 000 aux « poilus », surnom donné aux soldats français pendant la Première Guerre mondiale pour vanter leur virilité guerrière.
03/07/2010
Serge LEFORT
Citoyen du Monde
Lire aussi :
• Dossier documentaire Corps, Monde en Question.
• Dossier documentaire Sexualité, Monde en Question.
• Dossier documentaire Presse féminine, Monde en Question.
[1] Georges Orwell :
• ORWELL Georges, La ferme des animaux [1945], Folio Gallimard, 1984 [Texte en ligne].
• ORWELL Georges, 1984 [1948], Folio Gallimard, 1972 [Texte en ligne].
Soumission librement consentie :
• BEAUVOIS Jean-Léon et JOULE Robert-Vincent, Soumission et idéologies – Psychosociologie de la rationalisation, PUF, 1981.
• BEAUVOIS Jean-Léon, Traité de la servitude libérale – Analyse de la soumission, Dunod, 1994.
• BEAUVOIS Jean-Léon et JOULE Robert-Vincent, La soumission librement consentie – Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ?, PUF, 1998.
• LA BOETIE Etienne de, Discours de la servitude volontaire [1576], Flammarion, 1993 – Mille et une nuits, 1997 – Payot, 2002 [Texte en ligne]
• MILGRAM Stanley, Soumission à l’autorité [1974], Calman-Lévy, 1994.
[2] Symbolique de la pilosité :
• CAZENAVE Michel (sous la direction de), Encyclopédie des symboles, Pochothèque Livre de Poche, 1996 p.132 et 133.
• CHEVALIER Jean et GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, Bouquins Robert Laffont, 1982 p.234 à 237.
Le poil au masculin :
Les Francs, tout comme leurs rois, portent les cheveux longs […]. Les esclaves et les membres du clergé, en revanche, doivent être tondus […]. Le symbolisme est évident : les cheveux longs signifient force, virilité et liberté.
ARiÈS Philippe et DUBY Georges (sous la direction de), Histoire de la vie privée – 1. De l’Empire romain à l’an mil, Seuil, 1985 p.456.
Récit biblique de Samson : Lire la Bible
Le poil au féminin :
En Orient, la légende raconte que la reine de Saba, marchant sur des miroirs qu’elle aurait confondu avec de l’eau, releva un jour le bas de sa robe devant le roi Salomon qui s’exclama alors : « le poil est l’ornement de l’homme, il défigure la femme ». Le mythe [de l’épilation à l’orientale] était né. Il faudra ensuite attendre l’issue des croisades chrétiennes du Moyen Âge, qui auront lieu entre le XIe et le XIIIe siècles après J-C, pour que l’épilation à l’orientale gagne progressivement toutes les cours d’Europe.
Le portail de l’épilation
Chez Mondeville (XIVe siècle), le monde des femmes s’active et se transmet recettes de séduction, épilatoires diverses (chaux vive, arrachage du poil avec des pinces, à l’aide des doigts trempés dans de la poix, ou encore – œuvre de patience – aiguilles chaudes enfoncées dans le bulbe pileux), pratiques qu’il semble préférable de ne pas mentionner, fût-ce dans l’intimité conjugale.
ARiÈS Philippe et DUBY Georges (sous la direction de), Histoire de la vie privée – 2. De l’Europe féodale à la Renaissance, Seuil, 1985 p.358, 359.
Les années 1980 à nos jours termineront d’achever cette renaissance de l’épilation-Reine, avec la montée en puissance des médias, télévision et presse magazine en tête avant l’avènement d’Internet. Ces supports de communication de masse vont imposer à leur tour de nouveaux codes sociaux dans la société occidentale, évolution qui ira de pair avec une profonde révolution des mœurs : les canons de beauté s’orientent de plus en plus vers des mannequins féminins aux corps d’adolescentes, imberbes et de plus en plus dénudées ; le port du string se généralise progressivement pour devenir aujourd’hui le sous-vêtement le féminin le plus porté et le plus vendu, notamment auprès des jeunes générations ; la pornographie pénètre dans tous les foyers grâce à la vidéo et aux chaînes privées, imposant par la même occasion l’épilation intégrale en véritable référent de la séduction sexuelle ; enfin, le culte du corps, porté de concert par une culture homosexuelle en plein essor autant que par le développement du sport-spectacle, fera considérablement évoluer le rapport au corps des hommes, en le décomplexant et en le magnifiant.
HUGONET Diane, L’histoire de l’épilation, Knol Google, 25/07/2008.
Rites de purification :
Une analyse détaillée du vocabulaire se référant à des activités de toilette permet de dégager plusieurs remarques. L’ensemble des termes exprimant ces activités de toilette ont une origine religieuse [rituel de purification].
POIRIER Jean (sous la direction de), Histoire des mœurs I vol.1, Folio Gallimard, 1990 p.602.
Dans l’aire juive, la toilette corporelle et la bain purificateur sont dictés par le code religieux mosaïque qui influença de tout temps les mœurs des Juifs, mais également [les mœurs des musulmans].
POIRIER Jean (sous la direction de), Histoire des mœurs I vol.1, Folio Gallimard, 1990 p.632.
Le respect de l’hygiène corporelle et des rituels de purification juifs a influencé les règles de vie des musulmans qui eux-mêmes allaient influencer les traditions méditerranéennes [chrétiennes] à partir du VIIe siècle.
POIRIER Jean (sous la direction de), Histoire des mœurs I vol.1, Folio Gallimard, 1990 p.634.
La femme musulmane est semblable aux Grecques et aux Romaines qui épilaient la totalité de leurs corps.
POIRIER Jean (sous la direction de), Histoire des mœurs I vol.1, Folio Gallimard, 1990 p.636.
Récit évangélique de Marie-Madeleine : Bible Service
[3] Thorstein Veblen, économiste et sociologue américain, a écrit :
Aucune classe de la société, même si elle trouve dans la pauvreté la plus abjecte, ne s’interdit toute habitude de consommation ostentatoire. On ne renonce aux tout derniers articles de cette catégorie que sous l’empire de la plus implacable nécessité. On souffrira la crasse et l’inconfort avant de se défaire du dernier affiquet, avant de dire adieu à tout simulacre de décence.
VEBLEN Thorstein, Théorie de la classe de loisir [1899], TEL Galimard, 1970 p.57 [Texte en ligne – Présentation de la théorie de la classe de loisir – Veblen : un précurseur].
Lire aussi :
• BOURDIEU Pierre, La Distinction – Critique sociale du jugement, Minuit, 1979 [Fiche de lecture – Analyse par R. WAAST].
• HERPIN Nicolas, Sociologie de la consommation, La Découverte, 2001 [Fiche de lecture – Note de lecture].