Monde en Question

Analyse de l'actualité économique, politique et sociale dans le monde

Médias alternatifs en question (suite)


Voici, détaillés dans ces pages, les fréquentations douteuses, les financements honteux, les hargnes sélectives, les indulgences infondées, les tentatives de dissimulations, les manipulations des chiffres, les mensonges réitérés de Reporters sans frontières, le tout au service d’une cause sans rapport avec les objectifs affichés.
Maxime VIVAS, La face cachée de Reporters sans frontières, 2007

 

La majorité des clients des médias alternatifs croient que l’infox serait le privilège des médias dominants du fait qu’ils sont aux mains de groupes financiers et subventionnés par l’État. Or, comme je vais le démontrer à partir d’un exemple significatif, des médias alternatifs publient aussi des fausses nouvelles [1].

J’ai lu l’article “Trois entreprises étasuniennes contrôlent plus d’un tiers des terres agricoles ukrainiennes” sur le site Le Grand Soir. J’avoue l’avoir lu en diagonal et que j’ai d’autant moins douté de la véracité des faits énoncés qu’ils correspondaient à mes croyances. Et je suis passé à autre chose… car je suis en vacances avec ma petite famille sur une plage déserte du Yucatán.

J’en ai discuté avec ma compagne, qui ne lit pas le français mais parfaitement l’anglais. Nous avons naturellement évoqué un épisode peu glorieux de la guerre américano-mexicaine [2]. Le rapprochement des deux chiffres, 42% des terres du Mexique et 40% de celles de l’Ukraine pris par les États-Unis, m’a soudain fait douter de la pertinence du deuxième.

J’ai donc relu l’article et un détail m’a alors frappé. L’auteur brasse beaucoup de faits et de chiffres, mais il ne cite qu’une seule source et sans donner de lien. Il écrit :

selon le site Australian National Review, l’Ukraine aurait vendu un tiers de ses terres agricoles à trois grandes entreprises transnationales étasuniennes. D’après l’agence australienne, ces firmes seraient désormais propriétaires de 17 millions sur 42 millions d’hectares de terres agricoles, acquis en moins d’une année, soit près de 40% de la superficie totale de l’Ukraine.

Or, tous ceux, qui comme moi ont cherché et trouvé la source [3], se sont rendu compte que le très, très court article de l’Australian National Review (VOVF) se terminait par l’opinion de l’auteure Encore les suspects habituels…, mais que l’éditeur réfutait complètement ses affirmations : Les 17 millions d’hectares cités étaient une erreur et c’est 1,7 million. et ajoutait A noter que les sociétés présumées ne détiennent pas le terrain en leur nom mais via des fonds d’investissement.

Pour ceux qui savent encore lire le français, cela veut dire que tout l’article, s’effondre car 1,7 millions d’hectares représente seulement 4% et non 40% des terres cultivables [4]. En conséquence, s’effondre aussi notre croyance dans le média alternatif qui publie ce genre d’article.

Pourquoi Le Grand Soir n’a pas pris la précaution élémentaire de vérifier les données ?

Pourquoi Le Grand Soir a publié un article de Lalaina Andriamparany, journaliste de Madagascar qui fait des piges pour Le Courrier des Stratèges ?
Le Courrier des Stratèges est animé par Éric Verhaeghe, qui écrit dans Atlantico, Contrepoints et Valeurs actuelles, et par Édouard Husson, qui écrit dans Atlantico et Valeurs actuelles.

Pourquoi Le Grand Soir a publié le 19 août une infox qui remonte au moins au 2 juin (source) et qui a fait été reprise le 16 août par Aphadolie (qui donne le lien du site Australian National Review) et le 18 août par l’Association de soutien à l’armée française ?

20/08/2022
Serge LEFORT
Citoyen du Monde et rédacteur de Monde en Question

Lire aussi :
Maxime VIVAS, La face cachée de Reporters sans frontières – De la CIA aux faucons du Pentagone, 2007 [Texte en ligne].
Dossier Propagande (avec liens téléchargement), Monde en Question.
Revue de presse, Monde en Question.


Notes et références


[1] J’écris des et non les qui serait une généralité abusive.

[2] À l’issue de cette guerre, les États-Unis ont pris possession de 42% du territoire mexicain soit 1 360 000 km2 (Traité de Guadeloupe Hidalgo signé le 2 février 1848). Mais, en 1853, le président mexicain Antonio López de Santa Anna a vendu aux États-Unis 76 800 km2 pour le prix de 10 millions de dollars américains – 285 millions actuels (Traité de La Mesilla du 30 décembre 1853).

[3] Je remercie encore Pierre-Henri BREDONTIOT qui a le premier mis en ligne le lien de la source.

[4] Terres agricoles (% du territoire) – Ukraine, Banque mondiale – Territoire (km carrés) – Ukraine (sans la Crimée), Banque mondiale.

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