Monde en Question

Analyse de l'actualité économique, politique et sociale dans le monde

Les mots (maux) de la campagne (3)


Le mot populiste a envahi le discours des médias dominants et des politiques. Il est toujours utilisé par les uns pour susciter la peur et par les autres pour discréditer un adversaire. Ce concept est-il bien assuré ? Une exploration de la littérature et de ses usages permet de répondre par la négative.

Une catégorie non-fondée

Alors que le mot populiste apparaît pour la première en Russie en 1870, il ne fait fortune que dans les années 1980. Aujourd’hui, il est utilisé pour désigner une pléiade de partis : le FTÖ de Jörg Haiger en Autriche, la Ligue du Nord d’Umberto Bossi en Italie, la liste de Pim Fortuyn aux Pays-Bas, le SVP de Christoph Blücher en Suisse, le VlaamsBlock en Belgique, le Dansk Folkeparti au Danemarck, etc. Les plus polémistes l’applique non seulement aux organisations d’extrême droite, mais à celles d’extrême gauche voire à tous les mouvements contestataires.

Margaret Canovan reconnaissait en 1981 que populisme est l’un des mots « les plus confus du vocabulaire de la science politique » [1].
Guy Hermet admet en 2001 que « Ceux qui étudient le populisme s’accordent sur un seul point. Tous reconnaissent la difficulté, voire l’impossibilité de lui trouver une définition… » [2].
Seul un idéologue, comme Pierre-André Taguieff, ose écrire une définition en 2004 : « Le populisme peut être sommairement défini par l’acte de prendre publiquement le parti du peuple contre les élites, ou par l’appel au peuple sans la médiation des instances représentatives. » [3].

Un usage polémique

Alain Duhamel fournit un exemple récent de l’usage de ce discours tautologique. Il reproche aux politiques de galvauder le terme populiste et céder à la facilité de cette injure alors que « le populisme gagne chaque année du terrain et témoigne ainsi que la crise de la démocratie représentative s’approfondit ».
Faute d’une définition, il utilise le langage hygiéniste, courant dans le milieu journalistique. Pour lui, le populisme serait une terrible maladie contagieuse qui « progresse spectaculairement » et « envahit de plus en plus l’Europe de l’Est, Biélorussie comme Ukraine, Slovaquie comme Hongrie ou Roumanie », mais s’arrête miraculeusement « à nos frontières ».
En effet, Alain Duhamel veille : « Pour ceux qui seraient tentés de relativiser les dangers du populisme, on peut rappeler que les Français sont aujourd’hui, au sein de l’Union européenne, le peuple le plus pessimiste sur son destin, sur son identité et sur son avenir. En ce sens, la montée du populisme ne constitue ni une surprise ni certes une maladie vénielle. » [4].

Injure à la mode

Une recension de l’usage du terme populisme dans l’actualité récente est révélatrice d’un courant dominant. Il est utilisé par les journalistes dans le cadre d’un discours de dénonciation d’un danger imaginaire et par les politiques sur le mode de l’injure.
On enregistre, dans les pages actualités de Google, 386 occurrences pour le terme « populisme » entre le 19/10/2006 et le 18/11/2006 ; 235 occurrences pour les termes « populisme Ségolène » entre le 20/10/2006 et le 18/11/2006. Ce qui marque une affinité particulière de Marie-Ségolène Royal à utiliser ce qualificatif contre Sarkozy [5].

À cette occasion, on remarque encore l’usage du copier-coller réalisé par les journalistes à partir d’une dépêche d’agence. Certains citent explicitement la source, d’autres implicitement (PARIS) et d’autres la passent sous silence. Tous reprennent mot pour mot le titre et le contenu de la dépêche [6].

Cette catégorie politique, au contenu incertain et arbitraire, se situe dans le registre de l’imprécation pour stigmatiser ceux qui perturbent le jeu politique convenu. Elle sert de contre-feu à tous ceux qui défendent l’ordre établi [7].

Serge LEFORT
20 novembre 2006


[1] CANOVAN Margaret, Populism, Harcourt-Brace Jovanovitch, 1981.
[2] HERMET Guy, Les populismes dans le monde – Une histoire sociologique XIXe-XXe siècle, Fayard, 2001.
Il ajoute cependant : « … capable de couvrir ce que peuvent avoir de commun ses manifestations si diverses dans le temps et dans l’espace. » L’auteur consacre ainsi 450 pages à décrire les manifestations d’un phénomène qu’il ne définit jamais, sinon par ses manifestations.
[3] TAGUIEFF Pierre-André (dossier réalisé par), Le retour du populisme – Un défi pour les démocraties européennes, Encyclopaedia Universalis, 2004.
Cette pseudo-définition, non partagée par les auteurs de l’ouvrage, lui permet de désigner ses ennemis au gré de ses humeurs.
[4] Alain DUHAMEL, La contagion du populisme, Libération, 08/11/2006.
Très présent dans tous les médias dominants (presse, radio et télévision), il utilise le ton de l’autorité ponctué par des marqueurs sémantiques de la fausse évidence : « c’est un fait peu contestable », « cela va de soi », « bien entendu ». Sa définition par défaut du populisme est savoureuse :
Car, bien entendu, la France échappe de moins en moins à l’emprise du populisme, avec son cortège de dénigrement systématique des élites, coupables de tous les échecs, de toutes les régressions mais jamais gratifiées des progrès ou des succès, avec aussi sa violence verbale, son autoritarisme diffus, sa démagogie affleurante, ses simplifications délibérées. Elle témoigne, cela va de soi, de ce qui est vécu comme autant de menaces, de pressions, de régressions, de dangers, de doutes, même si la réalité est infiniment plus complexe : la mondialisation, le capitalisme financier, les délocalisations, ces décisions mystérieuses et funestes prises de l’extérieur, la dépossession du pouvoir national, la persistance du chômage, l’augmentation de la précarité, la vulnérabilité face aux violences physiques, sociales, culturelles, l’essaim terrible des insécurités, l’impasse redoutée de l’intégration, de l’ascension sociale, de l’espérance. Depuis une génération, l’humus français porte en lui les germes du populisme. La pratique institutionnelle de la Ve République en dramatise encore les risques avec les blocages éternels du dialogue social, l’absence aberrante, archaïque, destructrice, de tout contrôle de l’action présidentielle et gouvernementale par le Parlement. Donc avec la confusion des pouvoirs soudés derrière un exécutif omnipotent donc fragile. Avec enfin l’absence de transparence et le refus d’une communication démocratique sur les décisions et les initiatives de ceux qui gouvernent.
[5] Recherche « populisme », Google.
Recherche « populisme Ségolène », Google.
[6] Journalisme copier-coller :
• Royal accuse Sarkozy de « populisme » et de « déni de démocratie », Reuters.fr – 22 oct 2006PARIS (Reuters) – Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité et estime que les promesses électorales d’un…
• Royal accuse Sarkozy de « populisme » et de « déni de démocratie », Boursier.com – 22 oct 2006PARIS (Reuters) – Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité et estime que les promesses électorales d’un…
• Royal accuse Sarkozy de « populisme » et de « déni de démocratie, L’Express – 22 oct 2006Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité et estime que les promesses électorales d’un ministre en exercice…
• Royal accuse Sarkozy de « populisme » et de « déni de démocratie », Capital.fr – 22 oct 2006PARIS (Reuters) – Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité et estime que les promesses électorales d’un…
• Royal accuse Sarkozy de « populisme » et de « déni de démocratie », La Tribune.fr – 22 oct 2006PARIS (Reuters) – Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité et estime que les promesses électorales d’un…
• Royal accuse Sarkozy de « populisme » et de « déni de démocratie », Challenges – 22 oct 2006PARIS (Reuters) – Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité et estime que les promesses électorales d’un…
• Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « déni de démocratie », Romandie.com – 22 oct 2006PARIS – Ségolène Royal a accusé Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité. La candidate socialiste à la…
• Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « déni de démocratie », Bluewin – 22 oct 2006Ségolène Royal a accusé Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité. La candidate socialiste à la présidentielle…
• Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « déni de démocratie », TSR.ch – 22 oct 2006PARIS – Ségolène Royal a accusé Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité. La candidate socialiste à la…
• Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « déni de démocratie », La Liberté – 22 oct 2006PARIS – Ségolène Royal a accusé Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité. La candidate socialiste à la…
• Ségolène Royal accuse Nicolas Sarkozy de « déni de démocratie », Armées.com – 22 oct 2006Ségolène Royal a accusé Nicolas Sarkozy de « populisme » sur la question de la sécurité. La candidate socialiste à la présidentielle…
[7] Lire :
• COLLOVALD Annie, Le «Populisme du FN» un dangereux contresens, Éditions du Croquant, 2004.
• COLLOVALD Annie, «Populisme : la cause perdue du peuple» in MATONTI Frédérique (sous la direction de), La démobilisation politique, La Dispute, 2005.

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